Alain Dumenil, le touche-à-tout
Diplômé d’HEC, Alain Dumenil a 26 ans lorsqu’il succède à son père à la tête du modeste établissement parisien de courtage en devises fondé par celui-ci en 1912. Nous sommes en 1975, dix ans avant que la déréglementation financière du tournant de la rigueur bouleverse les métiers de l’argent et lui permette de déployer ses ambitions.
L’essor : de l’établissement familial à la banque d’affaires
Conscient des possibilités offertes, il recrute alors Jacques Letertre, énarque du Trésor et fin connaisseur des mécanismes financiers. Ensemble, il vont faire de Dumenil-Leblé l’un des noms les plus en vue du monde de la finance. Transformé en banque, l’établissement voit l’envolée de son chiffre d’affaires, multiplié par cinquante. Les deux compères enchaînent les « coups » et n’hésitent pas à s’attaquer à forte partie : alliés à la banque Stern, ils sont ainsi à deux doigts de prendre le contrôle du Groupe Rivaud, l’un des empires les plus secrets du capitalisme français.
Si la prise de contrôle échoue, les plus-values dégagées par l’opération affolent la bourse qui voit en Dumenil-Leblé, introduite au second marché en 1986, l’un des grands espoirs de la côte. La banque sera ainsi valorisée jusqu’à deux milliards de francs, assurant à son dirigeant l’une des plus belles fortunes de ces années d’euphorie.
Séduits, Alain Minc et Carlo de Benedetti prennent en 1987 25 % de Dumenil-Leblé via leur holding Cerus. Ce rachat, opéré juste avant l’éclatement de la bulle financière d’octobre 1987, donne au dirigeant les moyens d’une étonnante reconversion.
La diversification tous azimuts
L’ancien banquier, qui sait prendre des risques au bon moment, décide en 1991 d’investir dans l’immobilier, alors en pleine crise. Par l’intermédiaire de la société Acanthe Développement, créée pour l’occasion, il acquiert bureaux, commerces, logements et résidences hôtelières.
Afin de poursuivre son essor, Acanthe Développement est introduite sur Euronext en 2000 puis opère en 2005 un recentrage gagnant : les logements sont délaissés au profit des actifs haut de gamme parisiens, bureaux et commerces, évalués à 400 millions de francs.
Mais la soif de conquêtes ne s’arrête par là. Au début des années 2000, « par opportunisme », Alain Dumenil se lance dans l’industrie du luxe, structurée de manière binaire entre quelques ténors, comme LVMH, et de petites sociétés. L’idée est alors de créer un groupe de taille intermédiaire, opérant sur des segments de marché délaissés par ces acteurs.
Sous les bannières d’Alliance Designers puis de France Luxury Group, il fédère des noms de la mode et du luxe alors en difficulté : la marque de chaussures René Mancini, la griffe Jean-Louis Scherrer ou encore le joaillier Poiray.
Immobilier, luxe, il reste à mentionner l’aéronautique pour que la mosaïque soit complète. En 2004, le dirigeant reprend Air Littoral. La même année, il crée AD Industrie, une société regroupant des PME de haute technologie assurant notamment de la sous-traitance pour de grands motoristes (SNECMA ou Rolls-Royce).
Patron de presse et mécène
Mais que serait un dirigeant français s’il n’affichait pas également un amour de la littérature, de la culture et du débat ? Alain Dumenil ne fait pas exception. Il reprend en 2003 les élégantes éditions de l’Herne, dont la ligne se veut à contre-courant des idées à la mode.
Dans le même esprit, il devient actionnaire majoritaire du groupe de presse Agefi SA, propriétaire du quotidien économique suisse éponyme. Il fera également un temps l’acquisition du Théâtre de Paris et du Petit Théâtre de Paris. Ce dernier sera revendu à Jacques-Antoine Granjon, autre patron amoureux des arts.
Mais c’est peut-être à la littérature que son nom restera attaché. Auteur de trois romans, il fonde en 2007 le prix Dumenil, doté de 60 000 euros et qui a distingué des auteurs tels que Jérôme Garcin, Franz-Olivier Giesbert ou Patrick Besson. Pour la postérité, le Goncourt de ce touche-à-tout ?